L’intensification des incendies urbains, industriels et forestiers – alimentée par l’industrialisation et le changement climatique – impose une modernisation des outils à disposition des secours. Les robots permettent d’agir dans des zones où les hommes ne peuvent plus intervenir en sécurité : zones confinées, bâtiments instables, atmosphères toxiques. Certains modèles peuvent tracter des lances à eau, ventiler un local en feu, acheminer du matériel ou encore localiser des victimes.
Une réponse technologique face à des défis croissants
Pour répondre à ces défis, plusieurs grandes brigades, à commencer par la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), ont intégré ces engins dans leur stratégie d’équipement. Des appels d’offres sont lancés, encadrés par des cahiers des charges exigeants : performance thermique, autonomie, robustesse, précision, et surtout conformité aux caractéristiques déclarées. Ces critères sont d’autant plus essentiels que les conditions d’utilisation de ces robots sont extrêmement contraignantes et que toute défaillance en intervention peut entraîner des conséquences graves.
Appels d’offres publics : l’exigence de véracité
La transparence et la conformité sont au cœur du processus d’évaluation. Une erreur dans un dossier technique, une exagération commerciale ou une non-conformité peuvent suffire à faire écarter une candidature. En 2018, la société française TECDRON en a fait l’expérience. Sélectionnée dans le cadre d’un marché de la Préfecture de Police de Paris pour la fourniture d’un robot incendie, l’entreprise a vu son offre rejetée après deux séries de tests non concluants. Les services techniques ont constaté que le robot proposé ne respectait pas les spécifications contractuelles et que le dossier contenait des informations erronées sur ses capacités.
Peu après, TECDRON a cessé ses activités, mais quelques semaines plus tard, une nouvelle société, ANGATEC, a vu le jour. Dirigée par les mêmes personnes, elle a repris les mêmes produits, sous un nom à peine modifié (le robot TC800 devenant le TEC800), avec les mêmes plaquettes commerciales, et les mêmes images de communication. Une stratégie commerciale qui pose la question de la traçabilité : pour un donneur d’ordre public, comment s’assurer qu’un robot proposé n’est pas, en réalité, un modèle déjà écarté pour non-conformité ? Et comment évaluer objectivement un produit si l’entreprise qui le présente n’est pas transparente sur son historique ?
Des circuits d’approvisionnement opaques
La question de l’origine réelle des produits est tout aussi cruciale pour répondre à cette exigence de traçabilité. Aujourd’hui, de nombreux acteurs du secteur importent des robots conçus à l’étranger, principalement en Chine, pour les revendre en France sous un autre nom. Cette pratique, connue sous le nom de « rebranding », est courante dans l’industrie mais peut poser problème dans un domaine aussi sensible que la sécurité civile.
On constate par exemples que plusieurs modèles de robots commercialisés en France par un des leaders du secteur, JCM Distribution (Rover, Trypper, MRX), sont en réalité produits par le fabricant chinois, COBRA-I (FOUROBOT). Le matériel transite par un distributeur italien avant d’être proposé en France. Rien d’illégal dans tout cela, mais ces étapes intermédiaires ne sont pas toujours clairement indiquées dans les fiches techniques ou la communication commerciale. Pour les acheteurs publics, cette absence de traçabilité complique l’évaluation précise du produit : a-t-il été conçu, testé et maintenu localement ? Quel est le niveau de contrôle qualité ? Quel est le rôle exact du distributeur ?
Un secteur en construction
Le développement de la robotique incendie repose sur un tissu d’acteurs varié : start-ups technologiques, PME industrielles, distributeurs spécialisés. Certains investissent dans la recherche et développement, développent leurs propres prototypes, construisent des partenariats avec les services de secours. D’autres adoptent une logique de revente, répondant à la demande croissante d’automatisation sans s’engager dans une production locale.
Ce pluralisme est naturel dans un secteur en plein essor. Mais il appelle à une vigilance renforcée. Car si toutes les entreprises ne jouent pas selon les mêmes règles de transparence, c’est l’ensemble de la filière qui risque d’en souffrir. Les pouvoirs publics ont un rôle déterminant pour structurer ce marché naissant et éviter les effets d’aubaine ou les concurrences déloyales.
Vers un encadrement plus clair ?
Face à ces constats, plusieurs pistes sont évoquées pour renforcer la confiance dans les équipements proposés aux services d’incendie. Parmi elles, la création d’un label national pour les robots d’assistance, fondé sur des critères clairs : origine des composants, conformité vérifiée, performances attestées, support local. Un tel label permettrait aux acheteurs publics de mieux distinguer les produits conçus et testés en France de ceux simplement reconditionnés ou importés.
Une autre proposition consisterait à imposer, dans les marchés publics, une déclaration obligatoire sur l’origine des produits, leur chaîne de fabrication, et les antécédents contractuels des entreprises candidates, y compris en cas de changement de nom ou de structure. Ce type de dispositif permettrait d’éviter que des sociétés ayant été écartées pour non-conformité puissent se repositionner sans transparence sur de nouveaux appels d’offres.
Une filière à fort potentiel
Les robots incendie représentent une avancée majeure pour la sécurité des personnes et des biens. En permettant d’intervenir dans des zones à haut risque, ils complètent l’action des pompiers et réduisent leur exposition au danger. Mais pour que cette filière tienne ses promesses, elle doit reposer sur un socle indiscutable : la confiance.
Cette confiance passe par la rigueur des tests, la clarté des documents techniques, la traçabilité des produits, et l’exemplarité des pratiques commerciales. Dans un domaine aussi sensible, la moindre faille peut avoir des conséquences humaines. L’innovation est bienvenue — elle est même nécessaire — mais elle doit s’accompagner d’une exigence de transparence et de responsabilité.
Les pouvoirs publics, en tant que régulateurs et donneurs d’ordre, ont un rôle clé à jouer dans la structuration de ce marché. Mais c’est aussi aux industriels de faire preuve de maturité : en investissant dans l’ingénierie locale, en garantissant la qualité, et en assurant une relation de confiance avec les utilisateurs finaux. C’est à ce prix que la robotique incendie pourra véritablement devenir un fleuron de la technologie française au service du bien commun.
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