Douze groupes de presse ont adopté une IA développée par Reporters sans frontières et l’Alliance de la presse d’information générale, marquant ainsi une nouvelle ère pour le journalisme augmenté.
Lundi 20 mai, Microsoft dévoilait ses nouveaux ordinateurs Copilot+PC dotés d’une IA générative intégrée à Windows, laissant entrevoir l’avènement du journalisme augmenté. Peu après, douze grands groupes de médias français ont annoncé l’adoption d’un prototype d’intelligence artificielle en collaboration avec Reporters sans frontières (RSF) et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig).
Un projet ambitieux et collaboratif
Baptisé Spinoza, ce projet innovant rassemble des entités majeures telles que Ebra, Libération, L’Équipe, La Nouvelle République du Centre-Ouest et Publihebdos. L’initiative vise à fournir un outil d’IA pour assister les rédactions tout en respectant la propriété intellectuelle. Spinoza intègre cinq bases de données qui contiennent 12 000 articles de presse, des législations, 15 000 pages du rapport du Giec, les données de l’Ademe et des documents issus de la stratégie nationale bas carbone du gouvernement.
Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF, précise que « l’objectif est de faciliter la production journalistique sans altérer le travail ou la condition sociale des journalistes ». Spinoza n’est pas conçu pour remplacer les journalistes mais pour les assister, répondant à des requêtes précises sans se substituer à la phase de création.
Un pas vers l’éthique et l’innovation
Actuellement, des médias comme Axel Springer, Financial Times ou Le Monde ont déjà signé des accords avec OpenAI. En contrepartie d’une rémunération, OpenAI entraîne ses modèles d’IA avec leurs contenus, améliorant ainsi la pertinence et réduisant le risque d’erreurs. Toutefois, l’usage de l’IA pour couvrir l’actualité pose des questions éthiques : bien que les articles soient relus par des journalistes, la machine effectue la compilation et le choix des données pertinentes.
Louis Dreyfus, patron du Monde, a exprimé lors d’une « masterclass IA » de Microsoft, son besoin d’être acteur de cette révolution. Selon lui, des outils comme Bard ou ChatGPT seront massivement utilisés par les jeunes générations. Il voit dans cet accord un moyen d’élargir la diffusion et d’influencer positivement l’information. « La presse française, ce n’est pas un kolkhoze », assène-t-il pour défendre la démarche individuelle des accords tout en promenant des intérêts communs.
Technologie collaborative pour demain
La réalisation de ce prototype a été menée en partenariat avec Ekimetrics et est basée sur GPT-3.5 d’OpenAI. Ce projet se poursuivra jusqu’à l’automne, moment où un bilan sera réalisé pour définir un modèle économique viable. Pierre Petillault, directeur général de l’Apig, insiste sur la nécessité d’un partage de la valeur si la solution est adoptée. Thibaut Bruttin se dit satisfait du résultat préliminaire : Spinoza évite les erreurs en ne répondant pas aux requêtes qu’il ne peut traiter, offre des liens vers les sources originales et met en évidence les points de discordance.
L’outil permet également de vérifier les faits, de traiter des questions techniques ou scientifiques complexes avec plus de précision et d’expertise, et de gagner un temps précieux. Cette approche pourrait être révolutionnaire pour le journalisme d’investigation et de données, secteurs où la vérification et la profondeur des contenus sont cruciaux.
Vers un nouveau paradigme du journalisme
Le journalisme augmenté par l’IA soulève des questionnements sur l’intégrité, l’éthique et l’avenir de la profession. Si ces technologies offrent d’énormes potentialités en termes d’efficacité et d’exactitude, elles nécessitent aussi une vigilance accrue pour éviter de détourner l’essence du journalisme, qui repose sur l’analyse humaine et sur une étroite connexion avec la réalité.
Alors que l’IA continue de s’infiltrer dans les différentes sphères de notre société, les professionnels de l’information doivent trouver un équilibre entre innovation technologique et responsabilité éthique. La route semble balisée pour un journalisme où technologie et humanité coexistent. Comment ce mariage inédit transformera-t-il la relation entre les médias et leurs publics dans les années à venir ?